Quel est votre parcours pour arriver au numérique?

Je suis arrivé au numérique par le son. Je travaillais à l'INA sur la restauration d'archives sonores. Et à l'INA, on a la chance d'être à la pointe de la pratique des nouvelles machines. J'étais à l'INA quand les premiers cdroms sont sortis. Puis j'ai quitté l'INA et j'ai créé le premier studio numérique de France. Votre parcours dans le monde du multimédia ?
Je suis un concepteur réalisateur multimédia. Je suis capable d'écrire le scénario, concevoir le projet et le réaliser.

Histoire de " Saltan " le CDROM ?

C'est un projet que j'ai développé au sein de la formation que je suivais de "concepteur réalisateur multimédia" de l'IUT de Villetaneuse en 1995. On a beaucoup travaillé sur la maquette. Et à la soutenance du projet, un éditeur était présent. Il nous a alors acheté les droits sur cette maquette, et s'est engagé à financer la réalisation. Il m'a alors demandé de faire la réalisation, en échange d'avance sur les droits d'auteur. Il faut savoir que ce projet à l'époque n'était pas porteur. C'était l'époque où tous les éditeurs cherchaient à se faire une image de prestige en éditant des cdroms type "arts et essai". Flammarion travaillait sur ce thème par exemple. Dans cette optique, et avec peu d'argent je me suis lancé pendant 6 mois à la réalisation de mon CDROM.

Vous n'avez pas d'autres projets sur support CDROM ?

J'ai un autre projet. . C'est une fiction interactive en vidéo. La maquette est prête et le produit est pratiquement terminé.

Croyez-vous aux cd-Xtra [un CD Audio avec des pistes de données, ndlr]?

Ca a été l'avenir pendant un an (en 1998). Mais avec le DVD, c'est déjà dépassé. Le problème de ces produits Xtra, c'est que ce n'est absolument pas identifié comme produit multimédia interactif, mais comme produit audio dérivé, comme un bonus. Ce qui maintenant va être privilégié, ce sont les retransmissions de concert, les plus autour d'un album musical. On pourra trouver tout cela sur DVD mais il me semble que toute la partie interactive, intelligente du support CD-ROM va disparaître. L'intéractivité sera de pouvoir aller sélectionner dans un menu la chanson voulue, mais c'est tout.

Dans cette logique quel est alors l'avenir du CDROM ?

L'avenir du CDROM, c'est le DVD, mais dans le cadre d'une utilisation très très peu intéractive, avec des fonctionnalités extrêmement réduites. Le DVD va être techniquement beaucoup plus performant, mais il utilisera beaucoup moins les fonctions interactives du support. . La sensation que j'ai, c'est que le CDROM a développé cette super performance de l'interactivité parce qu'il était très pauvre au niveau des médias. Le CDROM ne pouvait pas tirer sa séduction de la qualité des médias : les images, le son ont toujours été abîmés par le CD-ROM. Et donc l'attrait du public envers le support CDROM était presqu'entièrement motivé par l'interactivité, c'est-à-dire la complicité entre l'utilisateur et le programme, la sensation de participer à l'organisation des contenus proposés par le support. Avec le DVD, il semble que la séduction va se reporter sur les médias eux-même et l'aspect interactif de ces nouveaux produits sera minoré, la conception sera dès lors très limitée.

Comment gagne-t'on sa vie dans la production de cdroms ?

On ne la gagne pas. C'est un produit artistique purement expérimental. le marché n'existe que pour les jeux.

Et l'internet dans le multimédia ?

Ca ne m'intéresse pas. C'est long, laborieux. Et ça me coûte cher chaque fois que je l'utilise. Et il me manque toujours le bon plug-in. Pour moi, l'internet c'est toute l'horreur du multimédia interactif. On nous fait cliquer des centaines de fois sur des boutons pour obtenir une information somme toutes très limitée. Je veux acheter un billet d'avion sur internet, j'y passe une heure. J'utilise mon Minitel, j'en ai pour deux minutes. Les possibilités de travail à distance, d'échanges et de transferts de fichiers sont par contre très intéressantes.

Que fait un professionnel du CD-ROM comme vous pour gagner sa vie ?

Il se reconvertit dans l'internet. Pour ma part, je forme les gens au métier de concepteur réalisateur multimédia. Mais même ce métier n'existe plus. Il a existé jusqu'en 1998. Je n'ai jamais vu une société recruter un concepteur réalisateur de nos jours.

Quels sont les métiers du multimédia actuellement ?

Il y a les concepteurs, ceux qui créent les média (image, son, vidéo), ceux qui les intègrent, et les chefs de projet qui organisent tout cela.

Quel conseil donner à un jeune qui veut se former au multimédia ?

Je lui conseille de faire une solide formation en informatique, et soit se spécialiser dans la gestion de bases de données, soit dans l'administration des réseaux. Parce que pour ce qui est de tous les autres métiers, il ne sera pas sûr de trouver du travail quand il arrivera sur le marche de l'emploi, ou alors dans des conditions plutôt pénibles. Pour ce qui est des emplois dans l'internet on a besoin de techniciens ou de commerciaux. On a voulu nous faire croire qu'il fallait des créatifs. Ce n'est pas le cas. La fonction du chef de projet par exemple actuellement sur internet a une dimension commerciale très importante. Pour ce qui est des graphistes, je vois leur avenir s'il ont une solide formation qui touche plutôt à la vidéo, au montage, aux outils de compression, en fait à l'audio-visuel.

Que pensez-vous alors de ces formations qui ont émergé avec le multimédia qui sont un mélange de techniques et de niveau bac+4 comme les masters, les dess ou autres ?

J'ai bien peur que ces formations n'offrent que rarement un " passeport pour l'emploi ". Je ne connais pas de gens qui aient été embauchés à partir de ces formations sur la seule compétence qu'ils auraient acquise pendant cette formation. Ces formations tentent de mettre sur le marché des chefs de projet. Or ces métiers-là n'existent pas. Actuellement sur le marché, il existe l'emploi de chef de projet junior : c'est le jeune de bonne volonté qui est un super infographiste, qui connaît bien un logiciel d'intégration, et qui est capable d'emmener avec lui une équipe sur un projet. Cette personne ne sort pas d'une formation universitaire, ou d'une autre formation longue mais vient d'un parcours constitué de stages en entreprises, de formations courtes et spécialisées, et de CDD. Et puis sur le marché vous trouvez des directeurs de production qui sont ceux qui ont plus une compétence informatique et qui auraient été sensibilisés au monde de l'internet, ou alors qui viendraient du monde de l'audiovisuel. Et ces directeurs de productions ne viennent pas non plus d'une formation longue de type universitaire. Les compétences dont on a besoin en multimédia sont soit : la maîtrise totale de certains logiciels pour la production des médias, soit la maîtrise technicienne de l'outils informatique, et le reste des compétences sont d'ordre culturel, la connaissance du multimédia n'étant considéré que comme un atout supplémentaire. Les formations longues et spécialisées dans le multimédia ont produit essentiellement des médiateurs, des diffuseurs de la culture multimédia, fonction absolument nécessaire pour tenter de faire exister autrement qu'en tant qu'étiquette sociale ce que l'on pourrait appeler le multimédia grand public. Le processus est long avant que n'apparaisse un réel marché grand public, comparable par exemple à celui de l'Internet commercial.

Quel est donc l'avenir de l'emploi dans le multimédia ?

La gestion de bases de données.

L'emploi dans le multimédia, un leurre ou une réalité ?

L'emploi est une réalité. Il y a beaucoup de PME qui embauchent pour l'internet. Mais les conditions sociales d'embauche sont extrêmement limites. Parce que ce ne sont pas de réels emplois qualifiés. Ce ne sont pas des compétences réellement reconnues codifiées dans des grilles de qualification.